Entre l'image et le texte poétique, il y a un titre. Un titre pour créer « du jeu ».

 Du jeu entre l'image et le texte poétique, pour courcircuiter le duo et faire surgir un troisième terme, pour rentrer dans une logique du tiers inclus, qui sera notre sauveuse à tous.

Le titre permet de sortir du dualisme, de créer une forme dialogique. Au sens de Bakhtine (philosophe et linguiste russe des années 20, connu pour ses recherches sur la littérature – le carnavalesque chez Rabelais par exemple) mais moins connu pour les implications philosophiques de ces théories littéraires et linguistiques.


Le dialogisme pour Bakhtine, cela signifie que nous sommes en dialogue et que nous ne pouvons pas choisir de ne pas l'être, non seulement avec d'autres humains mais avec les configurations culturelles et naturelles que nous mettons ensemble et que nous nommons le monde.

Pour lui, la réalité est toujours expérimentée d'une position particulière, selon la théorie de la relativité d'Eistein et on est responsable, au sens littéral, de cette position. Il a restauré la question de la parole dans l'étude de la langue.

 

Plusieurs interrogations au cœur de ma pratique du photopoème :

 

-la double question de la singularité et du lien avec l'autre (l'autre comme déclencheur du besoin de poème mais également celui à qui donner le poème). Cette question pour moi est la question politique originaire.

Tous les totalitarismes politico-religieux tentent d'éliminer cette question en éliminant ceux qui la portent. Vivre en commun sans vivre comme un, sans fusionner, voilà la question, comment faire son chemin singulier, sans tomber dans les chausses-trappes des identités prêts-à-porter.

 -le retour aux questions humainement essentielles : habiter, travailler, aimer, donner la vie, mourir, vivre ensemble...que le nouveau fascisme, dont parlait Pasolini, ce présent imposé à tous, par "les conservateurs de cette vie horrible fondée sur l'idée de posséder et sur celle de détruire", cherche à nous masquer.

Je recherche un art pauvre dans ses moyens (du papier, de l'encre, un texte, une image fixe - un "photogramme"- ) mais riche dans ses évocations, pour changer le mental, pour penser le tiers-inclus.

 

Je propose quelques livres à la disposition de tous. Des livres que l'on peut acheter à la librairie Lune et l'autre et des livres empruntés au réseau des médiathèques de la ville.

 

Pourquoi ce choix de l'arbre à poèmes - je ne donne pas de réponses car je préfère allumer des questions. C'est pourquoi je finis cette présentation avec un texte extrait du roman de Jean Giono « Que ma joie demeure » - cité dans Des objets de rencontre : une saison à Emmaüs de Lise Beninca.

"L'homme, on a dit qu'il était fait de cellules et de sang. Mais en réalité il est comme un feuillage. Non pas serré en bloc mais composé d'images éparses comme les feuilles dans les branchages des arbres et à travers desquelles il faut que le vent passe pour que ça chante. Comment voulez-vous que le monde s'en serve s'il est comme une pierre ? Regardez une pierre qui tombe dans l'eau. Elle troue. L'eau n'est pas blessée et la voilà qui fait son travail d'usure et de roulis. Il faut qu'à la fin elle gagne et la voilà au bout de sa course qui aplatit à petits coups de vagues la boue docile de ses alluvions. Regardez la branche d'arbre qui tombe dans l'eau. Soutenue par ses feuillages elle flotte, elle vogue, elle ne cesse jamais de regarder le soleil.

A la fin de sa transformation, elle est le germe, et des arbres et des buissons poussent de nouveau dans le sable. Je ne dis pas que la boue est morte. Je ne dis pas que la pierre est morte. Rien n'est mort. La mort n'existe pas. Mais, quand on est une chose qui dure et imperméable, quand il faut être roulé et brisé pour entrer dans la transformation, le tour de la roue est plus long. Il faut des milliards d'années pour soulever le fond des mers avec des millimètres de boue, refaire des montagnes de granit. Il ne faut que cent ans pour construire un châtaignier en dehors de la châtaigne et quiconque a senti un jour de printemps sur les plateaux sauvages l'odeur amoureuse des fleurs de châtaignes comprendra combien ça coûte de finir souvent."