...................Journal du lien.....................


J'ai écrit un texte que j'ai appelé "Journal du lien".

J'avais oublié qu'il avait été précédé d'une multitude de petits textes sur la question du lien, sur tous les liens possibles entre humains.

Je viens de le relire. Je vais le reprendre et publier ici ces éclairs qui nous manquent tant cette fin du mois de mars 2020. 


Dimanche 29 Mars 2020

 

Les mots qui s'égrènent les uns après les autres, dessinent un sens, esquissent une vie. Approfondir le lien, sa fraîcheur, sa nudité, sa teneur, sa densité. Dans la candeur du possible. Faire courir mes doigts sur ses fibres, parcourir son étendue, son spectre, sa portée.

Laisser monter l'attente dans sa fragilité moussue.

 

Laisser monter l'attente dans sa tension rêveuse. Faire un journal du lien. Du rien ? De l'infime. Du transparent. Impalpable. Trainées blanchâtres qui partent d'un esprit à un autre, les relient par un tremblement persistant qu'une perception non-ordinaire fait surgir. Des filaments très souples, très fins, qui partent des sommets des cranes et s'élancent doucement dans l'air. On ne voit quelques fois qu'une partie ; celle qui relie l'autre personne n’apparaît pas toujours. Père mère fils fille ami amie amant amante aimant aimante.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Lundi 30 mars 2020

 

 

Toute poésie coupe la vie ordinaire, interrompt l'état habituel presque à l'instar du sommeil, pour nous renouveler et ainsi maintenir en nous toujours vif notre sentiment de vivre.     Novalis

 

Lien avec l'amie. La fraternité irradiante, pleine et ambrée de la jeunesse qui corsette parfois à la fin du jour quand tous les jeux ont épuisé leurs charmes. Lien qui tourne à l'encordage dans son entièreté exclusive.

Que l'on aimerait s'encorder à nouveau de rires et de paroles étourdissantes le jour où pour la première fois la mélancolie du dimanche recouvre chaque instant !

 

Que devient le lien une fois la personne disparue ? Se désagrège-t-il également ? Lambeaux de liens qui heurtent, vous réveillent la nuit, les yeux pleins de larmes ? Est-ce que ce sont eux qui font mal, ces bouts de lien qui enserrent une fois disparue la personne aimée ? Est-ce que ce sont eux qui nous appuient sur la poitrine et nous empêchent de respirer comme avant ?

 

Dans certaines familles, quand tous les membres sont présents en un même lieu, attablés dans une même salle, les liens se déploient au-dessus des têtes et forment un entrelacs extrêmement élaboré, nimbant le plafond de traces évanescentes qui s'enchevêtrent les unes aux autres.

 

Quand une des deux personnes reliées avance un peu plus en âge, que son corps se recroqueville et se plie un peu plus sur lui-même, le lien la soutient et la maintient dans sa verticalité devenue vacillante.

 

(photos : série Les Malgré Moi)