samedi 4 avril 2020

 

            Nous nous touchons, comment ? Par des coups d'aile

            Par les distances mêmes nous nous effleurons.

            Un poète vit seul et quelques fois

            Vient qui le porte au devant de qui le porta

                                       9ème élégie de Duino, Rainer Maria Rilke à Marina Tsvetaieva

 

Ces jours d'attente où tous les serments ont pris le chemin de la balance et ont soupesé les vœux un à un ! Résignation à la vie comme elle va, réduisant les amitiés à de pâles filaments dont toute l'électricité se réduit à de petites secousses intermittentes, annuelles pour le mieux. Et puis ta voix à l'autre bout du fil qui ne fléchit pas pour dire « pour la vie » ! Le lien s'est mis à danser, ourlant un à un ses filaments. Aucune assurance, aucune preuve autre que cette pauvre formule usée jusqu'à la corde et qui remplit toujours sa fonction magique ! Pleuré un peu, en caressant de la main ses fils bleutés qui venaient de retrouver un peu de vie...

 

La main engourdie attrape l'outil mais cela ne stimule pas plus le cerveau qu'un vol de libellule à son côté. A la flamboyance de la nature, tu aimerais répondre autrement que par l'assèchement du souffle vital.

Tes liens t'encerclent comme le python va enserrer sa proie. Manque d'espace, manque de jeu. Je me raccroche à la périodicité de ces instants. S'ils ont commencé, c'est qu'ils finiront par s'arrêter. D'eux-mêmes ?

Mais si tout restait comme cela, dans la gangue d'une immobilité moribonde ? Qui peut me dire le contraire ? Qui peut me certifier que le mouvement et son plaisir, la sensation et son désir donneront à nouveau la couleur ? Qui peut me dire que le présent reviendra ? Que le soleil pointera ?

 

Je suis assise à tes cotés sur la terrasse. Je ne sais pas encore que cela sera le dernier moment que je partagerai avec toi.  

Dans la lumière de l’été. Dans la lumière de la vie. Dans la lumière.

Ton regard est tourné à l’intérieur, tes yeux n’accrochent plus rien.

Le lien nous encercle délicatement et nous fait regarder le silence.

 

J’ai la main posée sur la joue et je te regarde du coin de l’œil. Tu regardes par la fenêtre du compartiment. Un léger mouvement de la tête a rendu flou les contours de ton visage. Nous avons quinze ans peut-être.

Les liens dansent entre nous aux rythmes de ce train qui roule encore....

 

Ecrire, c’est transformer l’impossibilité de vivre en possibilité de dire

                                                                                                           Jean Starobinski

 

Photo : série Les Malgré Moi