Je vais vous présenter ce qu'est le photopoème et à quoi il renvoie historiquement, pourquoi l'association texte/image m'intéresse enfin, j'essaierai de donner quelques pistes sur ma démarche photographique et poétique.

 

Le photopoème se compose d'un titre, d'une ou plusieurs photographies, d'un poème. C'est l'assemblage de parties appartenant à deux médias d'essence différente :

 

le langage du langage et le langage de l'image.

Cela n'a pas toujours été le cas. Cette étrangeté entre image et texte n'a pas toujours existé dans l'histoire occidentale.

 

A la Renaissance, une pratique existe dans la culture savante, la pratique de l'emblème qui associait une gravure, un texte et un titre. Dans l'emblème, l'image est nommée le corps, le texte, l'âme !

Cette pratique va durer presque 150 ans.

Au début de son apparition (vers 1520 environ) l'emblème met en scène une théorie qui va être centrale dans l'histoire des arts à cette époque, la théorie de l'ut pictura poiesis, que l'on peut traduire par « comme la peinture la poésie ». Pour composer une peinture/ un texte, on doit se mettre la scène sous les yeux, une théorie reprise des grecs et des latins.

Dans un jeu d'échos, de correspondances, de symboles reprenant la mythologie gréco-latine et toute la culture savante de l'époque entre textes, image et titre, l'emblème met en scène une représentation du monde où tout est relié, où tout se renvoie, où il n'y a pas de rupture entre cosmos et société, art et vie de l'honnête homme, où règles de vie et règles esthétiques procèdent de la même source.

C'est la conception de l'anima mundi, l'âme du monde, représentatif de l'humanisme cosmique, une expression entre autres de Mohammed Taleb, que l'on va retrouver dans les mouvements romantiques anglais, allemands, américains et toute une conception écologiste, parallèle à l'humanisme qui va dominer ensuite, celui qui va faire du cogito cartésien le nœud central et amorcer le désenchantement du monde.

Cette âme du monde n'irrigue pas seulement les milieux intellectuels mais également toutes les campagnes. L'humanisme du cogito va supplanter l'humanisme cosmique par le massacre des sorcières, les guerres de religion.

Progressivement, cette théorie de l'ut pictura poiesis va évoluer de la mimesis à la représentation, vers une séparation des arts, une spécialisation des activités humaines et leur classification.

L'image, prohibée ou célébrée, va être dévolue à un rôle éducatif et moral, pour contenir la pluralité des interprétations à un certain nombre de significations et à elles seules.

La doctrine chrétienne est la seule doctrine monothéiste à faire de l'image l'emblême de son pouvoir et l'instrument de toutes ses conquêtes, comme l'écrit Marie-José Mandzain.

Celui qui s'empare des visibilités est le maître. On croit, on apprend, on informe, on transmet par l'image. Depuis 2001, on est rentré dans une crise du visible, avec le spectacle de la mort de l'image dans l'image de la mort donné par le criminel inconoclaste, selon l'expression de Marie-José Mandzain. Depuis le 7 janvier 2015, on peut reprendre cette expression pour la France...

 

1662 : arrêt de l'emblème. C'est aussi la date de la sortie de la Logique de Port Royal qui va théoriser le langage sous la forme d'une adéquation totale entre mot et chose, sans possibilité de "jeu". C'est une théorie du discours qui va naître, la possibilité de la science, de la linguistique comme science, au prix de l'exclusion de la parole.

 

L'emblème est au carrefour de l'histoire politique et esthétique.