Mercredi 1er avril 2020

 

 

Je parle d'abord pour moi qui ne me suis pas résigné à voir la vie perdre de son sens et de son sang. A vrai dire, c'est le seul visage que j'aie jamais connu à la souffrance. On parle de douleur de vivre.

Mais ce n'est pas vrai, c'est la douleur de ne pas vivre qu'il faut dire.

Et comment vivre dans ce monde d'ombres ?

                                                  Albert Camus dans une lettre à René Char

 

A l'annonce d'un problème de santé qui pourrait entraîner la mort, les filaments se raidissent et perdent leur élasticité. Stoppés en plein mouvement, les membres accusent un poids supplémentaire, comme s'ils étaient tirés en arrière, le temps que le danger s'éloigne de l'horizon immédiat. La souffrance à venir, le spectre de la fin du plaisir partagé m'encombrent au lieu de me faire simplement peur.

Je lâche ta main comme si je n'avais jamais rien eu à faire avec elle.

Je suffoque, je piétine, je me tends vers un égoïsme du vital mais je plie sous l'effort du lien qui me fait éviter la fuite. Il m'enserre, me serre plus fort pour me faire déciller. Quelques minutes, quelques heures. C’est le moins que je puisse faire. T’accompagner dans ce qui te fait face.

 

  

J'ai écrit Journal du lien parce que je ne pouvais pas faire autrement.

C'est le travail de l'écriture, de la poésie en particulier, à mon sens, qui malaxent les possibilités comme des chairs jusqu'à détendre l'ensemble, qui rend la vie enfin vivable...

J'avais besoin d'exprimer également la force des liens. D'en rendre compte. De la montrer à la lumière. D'en faire le tour, en riant ! De lui rendre sa légèreté. De la vivre. Il a fallu chercher, il a fallu trouver une forme dans sa nécessité. Oser la force de la fragilité et la fragilité de la force. Risquer la perte. Vivre avec cet horizon. Le propre de l'amour, de tout lien, de tenir ensemble sans résolution perte et possession.

Journal du lien, en quelque sorte, est écrit à la quatrième personne du singulier.

 

 

Se faire transparent pour mieux rayonner, diamant qui refuserait la taille prise pour une mise en pièces, ne garder de la vie que l'indispensable.

Les importuns à leur place. Devoirs du soir de la vie.

 

Photo : Série Les Malgré Moi